Article paru dans Le Figaro le 18 février 2011
.
Le président du conseil général des Bouches-du-Rhône est pris dans la tourmente de l'affaire touchant son frère, incarcéré depuis décembre. Il dénonce « une campagne honteuse ».
Pris dans la tourmente de l'affaire touchant son frère Alexandre, incarcéré depuis le 1er décembre, ainsi que plusieurs collectivités territoriales gérées par la gauche, Jean-Noël Guérini tente de faire front. Sénateur, président du conseil général des Bouches-du-Rhône et patron de la fédération socialiste du département, il conduit la campagne des cantonales. Il veut tenir et se faire réélire le 30 mars.
Pourtant, les révélations de plus en plus gênantes pour lui se multiplient dans ce dossier touchant à l'exploitation présumée frauduleuse de décharges, ainsi qu'à l'obtention de marchés auprès de collectivités par des sociétés soupçonnées de blanchiment et de liens avec le banditisme. Après la publication d'écoutes téléphoniques faisant état de ses interventions pour favoriser les affaires de son frère, est venue la divulgation de retranscriptions plus embarrassantes pour lui. Celles-ci révèlent que onze jours seulement après l'ouverture de l'information judiciaire et la nomination d'un juge, Jean-Noël Guérini est au courant et avertit son frère. « Il se dit qu'une enquête préliminaire sera ouverte. À mon avis, ça doit être pour tes décharges », indique-t-il à son frère en ajoutant, « mais, de toute façon, au bout de trois ans, y'a prescription, ils peuvent rien faire ». Si son frère lui répond « j'ai rien à me reprocher », il n'en téléphone pas moins aussitôt à son homme de confiance, Philippe Rapezzi, pour lui demander : « Il faut rien laisser traîner. D'accord ! »
.
« Un coupable idéal »
Les écoutes ne permettent pas de déterminer qui a prévenu Jean-Noël Guérini. Un texto échangé entre « Alex » et son avocat mentionne « le squale », surnom de Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, comme possible source d'information. L'ancien préfet de police de Marseille connaît bien l'élu socialiste. Ils ont eu des problèmes cardiaques au même moment et ont été soignés dans la même clinique. En outre, le conseil général a embauché les deux enfants de Squarcini. Mais ce dernier a nié vendredi dans Le Parisien avoir informé les frères Guérini sur une affaire pour laquelle, dit-il, il n'avait aucun renseignement, l'enquête étant menée par les gendarmes et non par la police.
En tout cas, les frères Guérini ont été informés de l'état d'avancement de l'affaire. Pour preuve, la destruction des ordinateurs des collaborateurs du cabinet de Jean-Noël Guérini au conseil général, la veille d'une perquisition des gendarmes. Droit dans ses bottes, Jean-Noël Guérini présidait jeudi soir un dîner de campagne pour les cantonales. La famille socialiste était réunie autour de lui à l'exception notable de Michel Vauzelle, le président du conseil régional, et d'Eugène Caselli, le président de la communauté urbaine de Marseille, en froid avec Guérini depuis sa convocation par le juge.
« Oui, je vous dois la vérité. J'avais mon frère au téléphone, est-ce un délit ? », s'est-il défendu. « Je suis corse, je porte le nom de Guérini, je porte en moi un délit de patronyme… frère de, coupable, forcément coupable. Un coupable idéal même, au moins sur le plan politique… », a-t-il lancé après avoir dénoncé une «campagne honteuse engagée par la droite» et répété « le conseil général des Bouches-du-Rhône n'est pas concerné par les affaires qui touchent mon frère ». L'achat par le conseil général d'un terrain à La Ciotat en le préemptant pour qu'Alex puisse l'exploiter en décharge est en effet prescrit… Mais d'autres volets de cette affaire à tiroirs pourraient s'ouvrir, comme ceux de marchés du conseil général (sécurité, photocopieurs…) ou des agréments pour maisons de retraite. Après avoir observé le silence, Jean-Noël Guérini contre-attaque. Il a porté plainte pour «violation du secret de l'instruction». « Je dis, ça suffit ! » , s'est-t-il exclamé. Pas de quoi intimider le juge qui devrait finir par le convoquer. Avant ou après les cantonales ?
.
Chronologie - Un dossier à tiroirs qui s'épaissit depuis deux ans
2 février 2009 : Une lettre anonyme est expédiée au parquet de Marseille. Elle dénonce un «système» avec, pour pivot, Alexandre Guérini, aidé par la présence de son frère à la présidence du conseil général. L'objet est de « détourner des sommes considérables », avec « un puissant réseau d'influence », des relations haut placées, notamment policières. Elle déclenche l'ouverture d'une enquête préliminaire. D'autres lettres suivront.
16 avril 2009 : Une information judiciaire contre X est ouverte et l'enquête est confiée au juge Charles Duchaine.
Novembre 2009 : Des perquisitions sont menées chez Alexandre Guérini et dans ses sociétés, puis quelques jours plus tard au conseil général des Bouches-du-Rhône et à la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (MPM).
Décembre 2009 : Perquisitions au domicile d'Alexandre Guérini et aux bureaux de Queyras Environnement, une société de traitement de déchets dont le patron, Eric Pascal, est un proche d'Alexandre Guérini.
8 juin 2010 : Les dirigeants de la société Queyras sont placés en garde à vue puis écroués.
29 novembre 2010 : Vingt personnes sont entendues par les gendarmes. Alexandre Guérini et des hauts fonctionnaires de MPM et de la communauté d'agglomération d'Aubagne sont mis en garde à vue.
30 novembre 2010 : Michel Karabadjakian, directeur général adjoint de la propreté à MPM, Jeannie Peretti, compagne d'Alexandre Guérini, et deux fonctionnaires, Mireille Duval et Christophe Bringuier, sont mis en examen.
1er décembre 2010 : Alexandre Guérini est mis en examen pour abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, recel, blanchiment, trafic d'influence, corruption active et détention de munitions et écroué. Philippe Rapezzi, un de ses proches, et Daniel Pinna, ex-directeur général des services de l'agglomération d'Aubagne, sont mis en examen.
12 janvier 2011 : Alain Belviso, président PC de la communauté d'agglomération d'Aubagne, est placé en garde à vue. Robert Abbad, son directeur de cabinet, et Claude Bernardi, le chef de cabinet du maire d'Aubagne, sont également entendus par les gendarmes.
14 janvier 2011 : Alain Belviso est mis en examen pour « détournement de fonds publics » et placé sous contrôle judiciaire. Un contrôle levé le 15 février.
2-3 février 2011 : Eugène Caselli, le président socialiste de MPM, est en garde à vue. Il en ressort sans charges contre lui.
.
LIRE AUSSI :
» Affaire Guérini : des écoutes mettent Jean-Noël en cause
» Marseille : l'affaire Guérini redonne de l'espoir à l'UMP
» Marseille : l'affaire des marchés publics rebondit
Les commentaires récents