Article paru dans La Provence le 23 septembre 2011, par Fred Guilledoux
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La Justice a tranché le contentieux sur les surcoûts de l'usine de traitement des déchets construite à Fos-sur-Mer.
Il est des défaites qui ont le goût des victoires. La Communauté urbaine Marseille Provence Métropole vient d'être condamnée par le tribunal administratif à payer 8,6 millions d'euros à Evéré, la société espagnole qui traite 440 000 tonnes de déchets ménagers dans le cadre d'un marché public remporté en 2005 et opérationnel depuis début 2010. Le différend entre la collectivité, qui représente plus d'un million d'habitants, et son délégataire portait sur les surcoûts de la construction de "l'unité de traitement de déchets multifilière de Fos-sur-Mer", qui associe incinération, méthanisation et tri sélectif. Pourquoi parler de bonne nouvelle à propos d'une condamnation pour MPM ? Tout simplement parce qu'en août 2008, quatre mois après l'élection d'Eugène Caselli (PS) à la présidence de MPM, Evéré a présenté une facture de 107 millions d'euros ! Soit la demande la plus élevée de France pour un tel contentieux, ce qui constitue une des raisons qui ont poussé la Communauté urbaine à voter, fin 2009, une augmentation des impôts locaux ...
Si la Communauté urbaine a aussitôt contesté cette somme et a demandé une expertise judiciaire, elle a longtemps cru qu'elle devrait en payer une large partie: "Dans les négociations avec Evéré, on était sur l'idée de verser 40 millions d'euros de plus pour les travaux et 30 pour les surcoûts d'exploitation", confiait l'année dernière Antoine Rouzaud, l'élu alors en charge du dossier. Des chiffres qui étaient encore évoqués au printemps dernier par Eugène Caselli. Autrement dit, la décision du tribunal signifie pour MPM une économie de plusieurs dizaines de millions d'euros. Un véritable bol d'air pour une collectivité aux finances ultra-serrées !
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L'origine des surcoûts
Lorsque la Communauté urbaine que présidait alors Jean-Claude Gaudin (UMP) a choisi Evéré, le coût du chantier de l'incinérateur était annoncé à 280 millions d'euros. Cinq ans après, la facture était passée à 430 millions d'euros. Soit une flambée de 150 millions d'euros qu'Evéré justifiait notamment par "les retards provoqués par les 38 recours juridiques exceptionnels et imprévisibles", "l'état du sol et du sous-sol" et "des changements liés à des réflexions menées avec MPM". C'est ce dernier point que la société mettait particulièrement en avant pour réclamer 107 millions, par exemple en ce qui concerne l'amélioration du tri des déchets.
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Un incinérateur sur les bras ?
Dans un premier temps, l'équipe Caselli s'est retrouvée avec une marge de manoeuvre extrêmement limitée: elle ne disposait d'aucun document obligeant la maison-mère d'Evéré, le géant ibérique Urbaser, à couvrir sa filiale. Autrement dit, planait la menace d'un retrait d'Evéré via une faillite, qui aurait laissé l'incinérateur sur les bras d'Eugène Caselli Miraculeusement, voici quelques mois, MPM a mis la main sur ce document, qui était caché au fond d'un carton. Ce qui ouvrait la porte à un match plus équilibré ...
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La contre-attaque hivernale de MPM
En début d'année, MPM découvre que l'avocat qu'elle avait chargé de mener les négociations avec Evéré, Régis de Castelnau, défend Urbaser dans un autre dossier à la Guadeloupe. Dans le même temps, des écoutes téléphoniques publiées par la presse montrent que cet avocat est impliqué dans l'affaire Alexandre Guérini (voir ci-dessous). Dernier point, alors que MPM et Evéré étaient jusqu'alors dans une logique de discussion, la société espagnole saisit le 14 janvier le tribunal administratif en référé afin d'être payée sans plus attendre. Comprenant que la situation est en train de tourner vinaigre, Eugène Caselli et son entourage décident de changer de défenseur en urgence. Spécialiste marseillais du droit administratif, Jorge Mendes Constante est désigné. Suicidaire dans un dossier d'une telle complexité ? Sans doute au vu des 33 cartons de documents transmis par Evéré pour justifier les 107 millions réclamés, qu'il faut réanalyser en quelques semaines Les techniciens de MPM sont alors mobilisés, pour tout décrypter. En mars, la collectivité indique à la justice que pour elle, les surcoûts ne dépassent pas 8,6 millions d'euros. Un pari qui va s'avérer gagnant : par une ordonnance restée confidentielle jusqu'à ce jour, le tribunal administratif l'a condamnée le 5 août à payer cette somme, lui donnant paradoxalement raison (1). "J'ai toujours indiqué que je ne donnerai pas un sou aux Espagnols sans le feu vert de la justice, j'étais sur la bonne ligne", se félicite Eugène Caselli. Evéré n'ayant pas fait appel, la décision est aujourd'hui définitive. Malgré nos demandes, la société a fait savoir, hier, qu'elle ne souhaitait pas fournir d'explications sur une attitude qui la voit faire une croix sur les dizaines de millions d'euros qu'elle réclamait .
(1) Un autre contentieux est toutefois encore en cours, qui devrait faire grimper la facture de 2,5 millions.
Encore une affaire sur le bureau du juge Duchaine
Depuis la décision du procureur de Marseille d'ouvrir une enquête après la réception d'une lettre anonyme, on sait que l'incinérateur construit par MPM à Fos est un des volets de ce qui est, depuis, devenu l'affaire Alexandre Guérini. Le juge Duchaine a ainsi travaillé sur les conditions dans lesquelles a été confiée, lors d'un appel d'offres, la réalisation "d'un audit en matière de déchets" à Régis de Castelnau, un des meilleurs spécialistes français du droit public. Dans le collimateur du magistrat, on trouve Jean-Marc Nabitz, un ex-haut-cadre du CG 13 : ce proche d'Alexandre et de Jean-Noël Guérini aurait fait pression pour que cette étude, qui allait aboutir à la mise en service de l'incinérateur, ne soit pas confiée à un autre cabinet. De même, des écoutes montrent qu'Alexandre Guérini discutait souvent de l'incinérateur avec Nabitz.
Selon nos informations, la décision du tribunal administratif met aujourd'hui en lumière le rôle jusqu'alors méconnu de Jean-Marc Nabitz dans les négociations sur les surcoûts du chantier. Plusieurs témoignages montrent qu'il s'est longuement impliqué dans l'analyse des demandes d'Evéré. "Conseiller bénévole", comme l'a expliqué Eugène Caselli aux gendarmes, Jean-Marc Nabitz a usé de ses compétences pour pousser MPM à payer. A-t-il joué double-jeu, comme le laisse penser la contre-expertise interne réalisée par la Communauté urbaine ? Le juge Duchaine ne devrait pas tarder à lui poser la question, Jean-Marc Nabitz qui s'était réfugié en Israël étant rentré la semaine dernière en France, où il a été mis en examen et écroué.
De même, la question du rôle de Régis de Castelnau se pose. Pourtant défenseur de MPM, celui que le juge Duchaine envisage de mettre en examen dans un autre volet du dossier, aurait souvent tenu le rôle de "conciliateur" avec Evéré (1). C'est ainsi qu'en novembre dernier, il a transmis à la Communauté urbaine un projet de protocole d'accord qui aurait abouti au versement rapide "d'un acompte de 39,5 millions d'euros à valoir sur l'indemnité totale". Qu'est-ce qui aurait pu pousser Nabitz et Castelnau à tenir une position favorable à Evéré ? La réponse se trouve peut-être dans la lettre anonyme, qui assurait que la société espagnole comptait racheter des entreprises appartenant "indirectement" à Alexandre Guérini .
(1) S'il réserve ses réponses à la justice, Régis de Castelnau a expliqué voici quelques semaines à "La Provence" que "la conciliation est un des rôles d'un avocat".
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Recours en cours
Depuis que le projet a été lancé en 2003, l'incinérateur de Fos a alimenté une intense actualité judiciaire. On se souvient ainsi qu'en 2006, le tribunal de grande instance d'Aix a stoppé un temps le chantier après la découverte de pieds de lys maritime, une plante rare. À ce jour, quatre recours sont toujours en cours. Deux ont été déposés devant le tribunal administratif par une association, l'ADPLG, et la mairie de Fos contre la délibération de février 2009 de MPM approuvant le contrat passé avec Evéré. À la suite d'un arrêt du Conseil d'État, la cour administrative d'appel doit par ailleurs restatuer sur un recours de l'association Fare Sud contre "le principe de délégation de service public". La même association et le San Ouest-Provence ont saisi le Conseil d'État sur l'arrêté préfectoral de janvier 2006 autorisant l'exploitation de l'incinérateur.
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