Article paru dans Le Point le 23 septembre 2010
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Révélations. Deux enquêtes inquiètent les barons de la gauche provençale.
Les socialistes marseillais sont au bord de la crise de nerfs. Tutoiements fraternels et embrassades démonstratives ne suffisent plus à le cacher : on s'épie, on s'invective, on se menace. Depuis que la chronique politique locale se lit à la page des faits divers, tout le monde soupçonne tout le monde. Jean-Noël Guérini, sénateur et président du conseil général, reste l'homme fort du PS provençal, mais il est fragilisé par les soupçons qui entourent les activités de son frère. Le président de la région, Michel Vauzelle, a dû subir l'affront d'une convocation au palais de justice, le 9 septembre : il en est sorti empourpré et a parlé, devant les caméras qui guettaient sa sortie, d'un "point de pourriture dans un fruit qui est sain".
De fait, plusieurs enquêtes judiciaires convergent vers les bastions de la gauche méridionale : le siège du département, l'hôtel de la région et les bureaux de la communauté urbaine ont tous reçu la visite de la police ou des gendarmes. Depuis, certains élus dorment moins bien que d'autres. Or les dossiers des juges se sont nourris d'informations anonymes puisées aux meilleures sources internes. Il y a donc des ennemis de l'intérieur.
Le juge Franck Landou, qui dirige l'enquête sur les aides publiques du conseil régional à des associations fantômes (voir Le Point n°1913), dispose ainsi de documents qui attestent les objectifs politiques des détournements effectués. Extraits des archives du groupe socialiste lui-même, ces tableaux imprimés, datés du 9 octobre 2008, sont annotés de la main de la députée (PS) Sylvie Andrieux, alors vice-présidente chargée de la politique de la ville. Ils révèlent que, dans de nombreux cas, l'élue exigeait que des subventions soient versées malgré l'avis négatif des services administratifs, y compris lorsque leurs soupçons se fondaient sur... "l'enquête judiciaire en cours" !
Mise en examen le 8 juillet, la députée apparaît comme le pivot d'un système qui déversait des centaines de milliers d'euros de fonds publics sur de petits réseaux de rabatteurs électoraux dans les quartiers nord de Marseille - les plus défavorisés de la ville -, où est située sa propre circonscription. "En contrepartie des subventions, a reconnu l'un des bénéficiaires, je m'étais engagé à être disponible lors des élections : cela signifie amener des gens aux meetings de Sylvie, faire de la propagande pour elle, ce genre de trucs."
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Intimidations.
Devant le juge, l'élue s'est défendue en affirmant "avoir strictement appliqué la politique voulue par Michel Vauzelle" et a souligné que lui seul détenait le pouvoir d'attribuer des fonds au nom de la région. "L'arbitrage politique final, d'attribution ou de rejet [des aides publiques], était fait par le directeur de cabinet du président."
Ces accusations implicites ont suscité la fureur de Michel Vauzelle - et sa convocation chez le juge. Entendu en qualité de témoin assisté, l'ancien ministre, qui préside la région Paca depuis 1992, a plaidé son ignorance des dossiers litigieux et soutenu que sa "signature mécanique" apposée sur les attributions de subventions ne l'engageait pas réellement...
L'un des documents versés au dossier du juge Landou peut contredire cette version. "Lettre M. Vauzelle", écrit en effet Sylvie Andrieux pour justifier une importante subvention à une association considérée comme suspecte. L'existence de ce courrier n'est pas avérée, mais l'inscription laisse supposer que le "système" dévoilé par l'enquête était largement connu.
Bien d'autres noms figurent d'ailleurs sur les fameux tableaux. Pour appuyer une demande de 35 000 euros en faveur d'une association de Comoriens établie dans son fief apparaît ainsi cette mention : "Très important. Weygand, Andrieux, Masse", référence évidence aux élus de ces quartiers, tous trois issus de dynasties socialistes locales : Félix Weygand est le fils d'un ancien président du conseil général, Christophe Masse est fils et petit-fils de députés et Sylvie Andrieux elle-même est la fille d'Antoine Andrieux, jadis sénateur et baron du PS des années Defferre.
Ainsi l'enquête du juge Landou plonge-t-elle jusqu'aux racines du clientélisme marseillais, tradition ancienne qui va de l'échange de bons procédés aux intimidations explicites. "Avec Mme Andrieux, on était dans un monde de menaces où on a peur pour soi ", a confié au magistrat une ancienne haut fonctionnaire de la région, qui avait osé émettre des réserves sur le financement des associations appuyées par la députée.
Parmi les noms tracés à la main par Sylvie Andrieux apparaît aussi, incidemment, celui d'Alexandre Guérini. Le frère du leader des socialistes marseillais, propriétaire de plusieurs déchetteries mais qui est aussi son bras droit au sein du PS, est mentionné en regard d'une demande d'aide de 75 000 euros au profit d'une salle de boxe située dans une petite commune de l'agglomération marseillaise.
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"Ils savent tout".
Présenté depuis un an comme le protagoniste principal de l'autre dossier qui inquiète le PS phocéen - l'affaire du marché des ordures ménagères de la communauté urbaine -, Alexandre Guérini n'a toujours pas été entendu par la justice, même si des perquisitions ont été menées à son domicile et au siège de ses sociétés. Le juge Charles Duchaine, chargé de l'affaire, garde toujours secrètes les centaines de conversations interceptées sur son téléphone à partir du mois de février 2009. Seuls de rares extraits ont filtré, à l'occasion d'auditions de témoins à qui les gendarmes ont fait entendre les bandes."Ils savent tout", a ainsi rapporté, atterré, un agent de la communauté urbaine confronté à l'un de ses propres dialogues - orageux - avec "Alexandre".
Détail stupéfiant : au printemps dernier, le frère de l'édile socialiste est aussi apparu dans les écoutes posées sur plusieurs personnages liés au milieu marseillais, dans le cadre de l'enquête sur le gangster Bernard Barresi. La compagne de ce dernier, Carole Serrano, interpellée en même temps que lui, le 7 juin, dirigeait une société de surveillance et de gardiennage, Alba Sécurité, dont les principaux clients étaient le conseil général des Bouches-du-Rhône et l'Olympique de Marseille. Dans sa villa de Gardanne, les enquêteurs ont découvert des enveloppes d'argent liquide cachées dans les canapés et huit téléphones portables. Plusieurs d'entre eux auraient gardé la trace du numéro d'Alexandre Guérini. Juges, policiers et gendarmes n'ont plus qu'à se décider à l'appeler.
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