Article paru dans La Provence le 20 oct. 2011, par Fred Guilledoux et Denis Trossero
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Des témoignages accusent le président du Département d’avoir secrètement favorisé fin 2005 la construction de l’usine de Fos, à laquelle il était officiellement opposé.
Feuilleton sans fin de la vie politique des Bouches-du-Rhône, marqué par une vive opposition entre Jean-Claude Gaudin et Jean-Noël Guérini, le dossier de l'incinérateur construit par la communauté urbaine MPM à Fos vient d'apparaître de manière surprenante dans les enquêtes pilotées par le juge Duchaine. Le rebondissement est signé Jean-Marc Nabitz, un ancien conseiller du président PS du Conseil général qui a été écroué mi-septembre. Il a assuré que fin 2005, Jean-Noël Guérini aurait finalement permis à l'incinérateur de MPM de voir le jour, alors qu'il y était officiellement opposé (1).
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La course poursuite
En 2002, président UMP de MPM, Jean-Claude Gaudin décide de construire une usine de traitement des déchets à Fos. Ce choix provoque une levée de boucliers de la part des défenseurs de l'environnement, qui reçoivent le renfort de Jean-Noël Guérini : "La santé de nos concitoyens a plus de valeur que la construction, pour des raisons pratiques et pour le plaisir de grands groupes, d'un incinérateur", lance-t-il. Débute alors une folle course entre MPM et le CG 13 : fin 2003, ce dernier débloque 1,5 million d'euros pour faire adopter en urgence un "Plan départemental d'élimination des déchets" qui interdirait l'incinération.
Une mission ultrasensible confiée à Jean-Marc Nabitz et à Antoine Rouzaud, un conseiller général PRG. "On enchaîne les tours de stade, avouait quelques mois plus tard l'élu. La loi prévoit que le premier arrivé bloquera l'autre". L'équipe Guérini multiplie alors les recours contre le projet d'incinérateur, quand le camp Gaudin obtient le soutien de collectivités afin de retarder le "Plan". Au fil des mois, le CG 13 prend néanmoins l'avantage et semble pouvoir tout boucler "un ou deux mois avant MPM".
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"Jean-Noël Guérini m'a demandé d'attendre"
Fin novembre 2005, son "Plan"est prêt. Dans sa déposition devant le juge dont Le Point a publié des extraits, Nabitz explique que c'est à ce moment-là que Jean-Noël Guérini lui a ordonné de temporiser. Ce que confirme aujourd'hui à La Provence Vincent Potier, qui était directeur général des services : "Le Plan aurait pu être adopté en décembre. À ma grande surprise, Jean-Noël Guérini m'a demandé d'attendre".
Élu écologiste chargé de déposer des recours contre l'incinérateur, Christian Raynaud enfonce le clou : "On était sur le point de gagner et d'un coup, on a appris que le CG levait le pied, c'était incompréhensible ". L'info serait même parvenue jusqu'à MPM : "Nous en avons profité", se souvient un technicien. Le 12 janvier 2006, le préfet signe l'arrêté d'exploitation de l'incinérateur. Ce n'est que trois semaines plus tard que le Conseil général adopte le "Plan"... "Nous avions perdu", résume Vincent Potier.
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Pourquoi avoir sabordé le plan du Conseil général ?
Face au juge, Jean-Marc Nabitz n'a pas fourni d'explication sur la volte-face de son patron. Tout au plus une piste quant à l'attitude de Jean-Noël Guérini durant les mois où il s'opposait à l'incinérateur : "Les énormes enjeux économiques des marchés ne pouvaient échapper aux décideurs". L'hostilité provoquée par les nouvelles installations de traitement de déchets prévues par Nabitz, notamment dans le pays d'Aix et à Saint-Rémy, a également pu jouer. Ce qui est certain, c'est qu'au dernier moment, Jean-Noël Guérini s'est opposé à un soutien financier du CG pour construire ces installations, qui semblait indispensable à ses conseillers : "La facture était de 300 millions d'euros, se souvient l'un d'eux. En prendre une partie à notre compte aurait fragilisé notre budget".
D'où l'intérêt de voir l'incinérateur l'emporter dans la dernière ligne droite : Jean-Noël Guérini évitait ainsi une dépense colossale tout en récoltant les fruits politiques de son engagement dans le camp des défenseurs de l'environnement. Lesquels, en fonction de l'avancée de la justice, risquent fort de se sentir grugés par celui qui promettait lors des municipales 2008 "un référendum pour étudier la question" .
(1) Malgré nos tentatives auprès de ses avocats et de son attaché de presse, il n'a pas été possible d'obtenir sa version.
La décision de construire un incinérateur à Fos a été prise par MPM en décembre 2003. Photo Serge Guéroult
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Municipales 2008 : "Si je suis élu maire, je proposerai aux Marseillais un moratoire et un référendum"
Jean-Noël Guérini a joué la carte anti-incinérateur bien après avoir retardé le "Plan" qui aurait empêché sa construction. Ainsi, en avril 2006, il a participé à une manifestation. De même, durant la campagne des municipales 2008, celui qui se présentait à Marseille réaffirmait son opposition : "Je suis et j’ai toujours été contre l’incinérateur. Si je suis élu maire, je proposerai aux Marseillais un moratoire et un référendum d’initiative populaire pour étudier la question."
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