Article paru dans La Provence le 13 déc. 2011, par Fred Guilledoux et Denis Trossero
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L'ex-"M. Déchets" du CG assure que la droite et la gauche ont touché des pots-de-vin. Des attaques qui provoquent l'indignation des élus.
Depuis trois semaines, le monde politico-judiciaire marseillais est en ébullition. Des fuites ont permis de savoir que Jean-Marc Nabitz, un des personnages clés de l'affaire Guérini, a porté des accusations "explosives". Entendu le 8 novembre à Valence où il était écroué, puis le 15 à Marseille lors de la venue d'enquêteurs suisses, l'ancien "M. Déchets" du Département est revenu sur l'attribution du marché de la construction à Fos de l'usine de traitement des déchets de la communauté urbaine MPM. Un marché remporté en 2005 par la société espagnole Urbaser qui aurait, selon M. Nabitz, donné lieu à "une distribution de pots-de-vin (...) aussi bien à droite qu'à gauche".
Évoquées récemment par "Le Canard enchaîné", puis par la presse suisse, ces attaques de celui qui fut un des conseillers de Jean-Noël Guérini ont provoqué une demande de renseignements du ministère de la Justice. De même, craignant de voir son camp éclaboussé, Jean-Claude Gaudin qui présidait alors MPM a fait part de son inquiétude à ses proches. Selon notre enquête, tout indique toutefois que les affirmations de Nabitz auront pour l'heure du mal à trouver une traduction judiciaire : faussement circonstanciées, ce qui les rend difficilement vérifiables, elles comportent plusieurs erreurs. Au point que l'on peut s'interroger sur cette séance de name dropping, exercice qui consiste à citer un maximum de noms connus...
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Le faux mystère de la "note blanche"
Nabitz explique qu'"à la demande" de Jean-Noël Guérini, il a rédigé "une note blanche confidentielle" analysant les offres des trois sociétés en lice. Ce document a ensuite été "donné" à Jean-Claude Gaudin et aurait joué en faveur d'Urbaser, alors que c'était jusqu'alors Suez qui faisait la course en tête(1). La vérité sur cette note est beaucoup plus simple : en raison d'un différend sur les éléments mis à la disposition des élus, elle a nourri un courrier adressé avec... accusé de réception au président de MPM par François-Noël Bernardi, un élu PS membre de la commission "Délégation de service public". On est loin du pacte entre Guérini et Gaudin suggéré par Nabitz... Le "repenti" ajoute qu'il aurait par la suite violemment reproché au président du CG 13 la diffusion de sa note : a priori difficile à croire quand on connaît l'attitude de Jean-Noël Guérini face à toute contestation interne, cette dispute est toutefois exacte selon nos informations.
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"Opus dei", le retour de la rumeur
Nabitz ressort une vieille rumeur, qui selon des proches l'obsède depuis longtemps : Gaudin aurait favorisé Urbaser car son président était comme lui membre de l'Opus Dei. Problème, si Gaudin est féru des affaires du Vatican, de multiples témoignages indiquent qu'il ne fait pas partie de cette organisation catholique espagnole très liée au franquisme.
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L'argent invisible
"Il y a eu distribution de dessous de table dans un commun accord dont probablement Bernardi et (Bernard) Jacquier (NDLR : le président UMP de la commission DSP) ont été les pivots". L'attaque de Nabitz est lourde. Le hic, c'est qu'il l'étaye avec rien de plus que les confidences d'un cadre d'Urbaser dont il se refuse toutefois à donner le nom. Des documents internes à MPM montrent pourtant que l'offre d'Urbaser était bien la moins disante, ce qui est certifié par trois cabinets indépendants. "Nous avons travaillé en toute transparence, Jean-Claude Gaudin ne m'a rien demandé", s'emporte Jacquier, alors que Bernardi parle de "fumisterie".
Nabitz ne s'arrête toutefois pas là : il met également en cause Patrick Mennucci (PS) et Renaud Muselier (UMP), le premier étant censé être intervenu en faveur d'"un ami" écarté du partage, le patron d'Urbaser ayant indiqué "s'occuper" du second en vue de l'adoption d'une délibération par MPM en 2009. "C'est un mensonge, qui met dans le même sac trois candidats potentiels à la mairie, ça sent la manipulation", rétorque Mennucci. Muselier souligne, lui, qu'il n'a "jamais vu qui que ce soit d'Urbaser, ne (s')étant pas occupé de ce dossier".
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Pas de surcoût sur les fours
Pour Jean-Marc Nabitz, l'usine Urbaser a coûté "100 millions d'euros" de trop, ce qui a bénéficié à des sociétés amies. Il jure ainsi que Jean-Claude Gaudin aurait imposé que les deux fours soient fabriqués par la CNIM, avec une facture surévaluée de 20 millions d'euros. Plusieurs experts sollicités par La Provence remarquent que mêlant tri, incinération et méthanisation pour un coût prévisionnel de 70 euros la tonne, avec un traitement catalytique des fumées, le centre de Fos était au contraire "très compétitif" par rapport à des équipements similaires. Par ailleurs, présente dès le départ dans les offres des trois concurrents, la CNIM est un des leaders mondiaux du secteur. "Ils ont fait de très gros efforts pour remporter ce marché", se souvient un des acteurs français de la candidature Urbaser, documents à l'appui. Écornant un peu plus les accusations de l'ex-"M. Déchets" du CG13...
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Gaudin : "De l'affabulation"
Contacté par La Provence, Jean-Claude Gaudin a réagi aux accusations de Jean-Marc Nabitz dans un communiqué : "Les propos de M. Nabitz, que d'ailleurs je ne connais pas, ne relèvent que de l'affabulation. La commission des marchés de MPM a conduit un travail sérieux et a choisi la meilleure offre technique et la moins chère (...). Je n'ai, pour ma part, rencontré les responsables de la société Urbaser qu'à une seule reprise, après que la décision de la commission des marchés ait été actée."
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(1) L'offre de Veolia était en revanche peu compétitive depuis le départ, au point que nombre d'acteurs se demandaient si elle ne laissait pas sciemment le champ libre à Suez.
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