Article paru dans Le Monde le 2 décembre 2010
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Mercredi 1er décembre, Alexandre Guérini, le frère du président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône, est écroué. Il a été mis en examen pour abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, recel, corruption active, trafic d'influence et détention de munitions.
C'est le dernier rebondissement d'une affaire née début 2009, sur une dénonciation anonyme. Le frère de Jean-Noël Guérini est soupçonné d'être lié à un système d'abus dans des marchés publics, notamment dans la gestion de déchets. Il se dit serein, après deux ans de procédure.
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Février 2009 : une enquête ouverte après un courrier anonyme
Une enquête préliminaire est ouverte à Marseille. En effet, un mystérieux informateur a alerté la justice sur ce qu'il considère être des malversations dans les Bouches-du-Rhône : il décrit avec détails un système mêlant surfacturations et trafic d'influence, notamment autour de la gestion de décharges publiques.
Le courrier anonyme envoyé au parquet cible particulièrement Alexandre Guérini. Celui-ci gère notamment quatre déchetteries dans les Bouches-du-Rhône, via plusieurs sociétés dont SMA Environnement. Il est accusé de profiter de l'influence de son frère, qui dirige entre autres un département au budget généreux : plus de 2 milliards d'euros.
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Avril 2009 : ouverture d'une information judiciaire
Le parquet ouvre une information judiciaire contre X... pour "corruption, trafic d'influence et favoritisme". L'instruction couvre "un large spectre", reconnaît le procureur de la République, qui note que les faits supposés concernent des attributions de marchés publics douteuses et des entreprises de traitement des déchets, mais aussi des activités dans le secteur social.
Des écoutes téléphoniques sont mises en place, visant Alexandre Guérini. Le frère du patron du PS local se montre prudent dans les enregistrements, rapporte Le Monde, mais on l'entendrait toutefois chercher à intervenir dans l'attribution de marchés publics ou tenter d'obtenir des logements ou des subventions pour des personnes ou des structures. Selon les détracteurs des Guérini, il s'agit de "clientélisme". Un avocat d'Alexandre Guérini dénoncera, lui, des "fantasmes".
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Novembre 2009 : perquisitions chez Alexandre Guérini et au conseil général
Le juge Charles Duchaine lance une série de perquisitions : au domicile d'Alexandre Guérini et dans des locaux de ses sociétés, mais aussi au conseil général et à la communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (MPM). Lors d'auditions à la même époque, le directeur général adjoint à la propreté de la communauté marseillaise, Michel Karabadjakian, accuse Alexandre Guérini : les sociétés de ce dernier auraient été avantagées. M. Karabadjakian affirme aussi qu'il a été recruté par le frère de Jean-Noël Guérini, qui n'y exerce pourtant aucune fonction. C'est le socialiste Eugène Caselli qui dirige officiellement la communauté urbaine.
Malgré ces accusations de proximité entre les donneurs d'ordre et les entreprises, les perquisitions, notamment au conseil général, se révèlent décevantes, estime le procureur de Marseille. Selon lui, "le ménage y avait été fait".
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Novembre 2009 : la mise au point de Jean-Noël Guérini
Alors que l'affaire trouve des échos dans la presse, le président du conseil général déclare : "Je suis surpris que certaines rumeurs et certains organes de presse profitent [de l'existence d'une information judiciaire] pour procéder à un amalgame visant à salir ma personne." Jean-Noël Guérini prévient aussi, via le conseil général, qu'il envisage de poursuivre des médias. Serait visé un article du Point, titré "L'affaire qui fait trembler le système Guérini", raconte Arrêt sur images.
Une des questions qui se posent dans cette affaire est celle des liens entre Jean-Noël Guérini et son frère. Les enquêteurs n'ont apparemment pas d'élément impliquant directement l'homme fort du PS local dans les affaires de son cadet. Pour autant, ce dernier est actif dans la vie politique. Membre du PS depuis des années, il aurait, selon certains, un rôle important dans la fédération PS des Bouches-du-Rhône, dirigée par Jean-Noël, rappelle La Provence. Alexandre était "présent" mais pas omnipotent, relativise un ancien patron de la "fédé" cité par le quotidien. La Provence affirme pourtant que celui que beaucoup surnomment "Monsieur Frère" a envisagé d'être candidat aux régionales. Et que son nom et la position de Jean-Noël lui servent de "sauf-conduit".
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Avril 2010 : les ramifications de l'enquête
Quatorze employés d'une société de ramassage d'ordures sont placés en garde à vue : la société Queyras Environnement, dont les dirigeants sont proches d'Alexandre Guérini, fait aussi fait l'objet de courriers anonymes dénonçant des surfacturations.
Un peu plus tôt, en février, le juge Duchaine s'est vu confier une autre information judiciaire, visant Prodoctec, une société de matériel de reprographie soupçonnée d'avoir bénéficié de l'intervention d'Alexandre Guérini, dans des marchés publics. Selon des sources proches du dossier, le juge s'intéresserait aussi à des comptes au Luxembourg et aux liens possibles avec des activités de blanchiment, notamment en Corse.
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Juin 2010 : le "règlement de comptes" dénoncé par Alexandre Guérini
Alexandre Guérini contre-attaque... en visant l'UMP Renaud Muselier : "C'est un règlement de comptes politique… A travers moi, c'est mon frère, candidat à la mairie de Marseille, qu'il cherche à abattre", lance-t-il dans Le Nouvel Observateur. Le frère de Jean-Noël Guérini accuse même le député d'avoir envoyé la lettre anonyme qui a déclenché l'enquête. Celui-ci nie, tout en dénonçant un "système mafieux": "Ce qui est sûr, c'est qu'ici, tout est sous coupe réglée. Jean-Noël Guérini distribue les investitures, l'argent, les emplois. Son frère, c'est la face cachée", ose-t-il lancer, après en être presque venu aux mains avec Alexandre Guérini.
L'atmosphère est tendue dans le milieu politique marseillais, qui est touché à la même époque par deux autres mises en examen. La première, dans une affaire de subventions présumées fictives qui touche le conseil régional, vise Sylvie Andrieux, députée PS des Bouches-du-Rhône, pour "complicité de tentative d'escroquerie et complicité de détournement de fonds publics", et la seconde, Eric Pascal, directeur de Queyras Environnement, pour "corruption, faux et usage de faux, destruction de preuves et escroquerie en bande organisée".
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Novembre 2010 : coup de filet et mise en examen d'Alexandre Guérini
Le juge lance une nouvelle opération et vise cette fois-ci Alexandre Guérini. Sa compagne, Jeannie Peretti, est mise en examen pour "recel d'abus de biens sociaux". Un de ses proches, Philippe Rapezzi, est également mis en examen, tout comme trois agents de l'agglomération d'Aubagne. Ainsi que Michel Karabadjakian, l'adjoint à la propreté de Marseille Métropole qui avait accusé Alexandre Guérini.
Les enquêteurs s'intéressent particulièrement à une décharge de La Ciotat, où sont entreposés les déchets de l'agglomération d'Aubagne, précise l'AFP. Le lieu est géré par une des sociétés qu'Alexandre Guérini dirigeait encore récemment.
Quelques semaines avant ce coup de filet, Alexandre Guerini avait démissionné de la tête de ses sociétés, plaçant un proche à la direction, selon La Provence. L'entrepreneur apprend le 1er décembre qu'il est placé en détention et mis en examen pour six motifs : abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, recel, corruption active, trafic d'influence et détention de munitions. Malgré cela, il se dit serein, via son avocate : "Il est facile de le poursuivre pour une multitude de chefs répréhensibles, il est autre chose de les prouver." Son frère Jean-Noël, lui, tient à préciser dans les colonnes de La Provence : "Lui, c'est lui, moi, c'est moi."
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