Article paru dans La Provence le 30 novembre 2010
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Alexandre Guérini, à la tête de plusieurs sociétés spécialisées dans le tri des déchets, a été mis en garde à vue hier matin dans le cadre de l'enquête sur les marchés publics des déchets dans le département. Portrait.
Quartier général du PS marseillais, au soir du second tour des élections municipales 2008. Téléphone portable collé à l'oreille, Alexandre Guérini apprend que dans le camp d'en face, on raconte partout qu'il a fait la tournée des bureaux de vote avec un revolver dans le blouson. Éclat de rire tonitruant à destination d’un journaliste: "N'importe quoi ! Ils me prennent pour un fou ? Si je me trimballais calibré, je le laisserai dans la boîte à gants...". Un clin d'oeil provoc’ et l'homme tourne les talons.
Chez les Guérini, il y a le costume-cravate du notable, avec Jean-Noël, sénateur et puissant président du conseil général des Bouches-du-Rhône et de la Fédération du Parti socialiste 13. Il y aussi la veste en jean et les baskets, les habitudes au Cercle des nageurs de Marseille, grosse berline allemande et écurie de chevaux de course. Ça, c'est Alexandre, celui que tous ceux qui connaissent les coulisses de la ville surnomment "Monsieur Frère".
À 55 ans, père de deux filles, "Alex" est un exubérant qui se cache. Pourtant, il est quasiment partout, au coeur de tous les réseaux, jamais très loin de son frère. L'histoire du benjamin des Guérini commence dans le quartier du Panier, là où se retrouvaient souvent les Corses quand ils quittaient l'île pour Marseille. La famille est originaire de Calenzana.
Le père Antoine est venu dans les années 50, pour rejoindre son frère qui lui a obtenu un travail "dans les HLM". Adolescence tumultueuse, quelques mauvaises fréquentations, les premiers pas d'Alexandre sont compliqués. Il crée une société de plomberie, Rodillat. Elle travaille pour l'Opac Sud, l'office HLM du Département que préside Jean-Noël Guérini à partir de 1987. Le jeune homme turbulent prend son envol. Après les tuyaux, il se lance dans les ordures peu de temps après que son frère s’est installé dans le fauteuil de président du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Il multiplie les sociétés, contrôle les décharges de La Ciotat et de La Fare-les-Oliviers, court toujours après les marchés publics.
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"Opérations spéciales"
Dans l’univers du traitement des déchets, Alexandre Guérini chasse parfois en meute, s’associant à des sociétés "amies" pour agrandir son territoire. Son nom impressionne, ses méthodes aussi. "C’est un loup", confie un de ses concurrents. Le genre de critique que le boss de la SMA balayait jusqu’à présent : "On m’a toujours attaqué parce que je dérange, expliquait-il voici quelques mois à un proche. Et aussi à cause de la politique". Car si Jean-Noël Guérini ne s’est jamais vraiment intéressé aux affaires, son businessman de frère s’est toujours plongé dans la vie du PS.
À la Fédération 13, nombreux sont ceux qui assurent qu’il touchait à tout, véritable patron bis. On rappelle qu’en avril 2000, une commission de contrôle a recensé 63% d’adhérents fantômes dans la section sur laquelle il avait la haute main ! Des critiques que tempère Guy Bono, responsable de la Fédération entre 1999 et 2004, pourtant fâché depuis plusieurs années avec Jean-Noël Guérini : "Même si Alexandre était effectivement présent, je n’ai jamais rien remarqué. Les investitures, c’est Jean-Noël et moi qui nous nous en occupions. Côté adhésions, s’il était dans la commission, ça avait l’air de se passer correctement."
Pour préparer les municipales 2008, Alexandre se charge des "opérations spéciales". Notamment de rallier les syndicats au panache de Jean-Noël. Pour cela, il utilise des techniques d’approche très personnelles. "Un jour, on l’a vu débarquer dans le bar où je vais régulièrement, se souvient un responsable syndical. Une tournée, deux tournées, etc. Il est revenu à plusieurs reprises, on a discuté et il nous a proposé de rouler pour son frère."
Lorsque la gauche remporte à la surprise quasi-générale la communauté urbaine, Alexandre Guérini est de nouveau à la manoeuvre. Si c’est Eugène Caselli qui est élu, le frère du président du Conseil général abandonne toute retenue et participe au choix des directeurs de service, entre dans tous les bureaux à sa guise, met les mains dans les négociations syndicales avec FO, donne des ordres, récupère des informations privilégiées sur les appels d’offres ?
L’homme est un adepte du mélange des genres. Au point de s’opposer régulièrement à des responsables du Conseil général et de l’Opac. Des pressions sur lesquelles plusieurs des fonctionnaires entendus hier ont été interrogés par les gendarmes. De même, pour défendre ses intérêts, Alexandre Guérini hausse le ton: lorsque la décharge de La Ciotat est évoquée dans une réunion sur le Parc des calanques, il appelle aussitôt un des responsables pour lui conseiller de se tenir à l’écart de ses affaires. Plus craint que respecté, Alexandre n’avait guère connu d’assaut jusqu’à présent. Sinon quelques rumeurs, bien sûr. Et des tracts anonymes diffusés lors des dernières municipales par l’équipe UMP des 4e et 5 e arrondissements de Marseille. Pas de quoi le déstabiliser.
Le nom des Guérini lui sert de sauf-conduit et lui autorise tout. Au point que l’an dernier, il décide de se réserver une place sur les listes PS pour les élections régionales. Michel Vauzelle n’est pas consulté mais ce qui compte, c’est ce que veut Alexandre. Un projet abandonné précipitamment lorsque sont perquisitionnés, pour la première fois, les domiciles et les sociétés de l’incontournable "Monsieur Frère"...
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