Article paru dans Le Monde le 6 novembre 2011, par Ariane Chemin
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Le mistral souffle si fort qu'il fait voler les poubelles du quartier Saint-Just à Marseille, où trône le conseil général des Bouches-du-Rhône. Il ronfle le long des façades de verre du "bateau bleu", ce drôle d'immeuble qui ressemble à une ville dans la ville. Tout est en ordre derrière les vitres doublées qui, au dernier étage, bordent le "saint des saints", 150 mètres carrés gardés par des huissiers et une lourde porte capitonnée.
L'angle droit que font entre eux canapés et tables basses est aussi millimétré que l'alignement des feutres fluorescents, rangés côte à côte sur le bureau du patron. Rien ne bouge, rien ne flanche, surtout pas lui, Jean-Noël Guérini, bien calé dans son fauteuil de président. "Ça va monter encore, en rafales, prévient l'élu socialiste. J'adore ce temps, la pluie, le vent."
La nuit tombe sur le conseil général, et avec elle, ce vendredi 4 novembre, l'épilogue provisoire du bras de fer noué cette semaine avec Paris : quarante-huit heures de semonces, de conseils d'amis, d'admonestations, avant un retour au statu quo.
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"J'attends toujours l'appel de madame Aubry"
Mercredi, le bureau national du Parti socialiste a demandé à Jean-Noël Guérini, mis en examen pour "prise illégale d'intérêt, trafic d'influence et association de malfaiteurs" dans une affaire des marchés truqués de l'agglomération marseillaise, de se "mettre en congé" de la présidence du département. Jeudi, ils étaient 13 élus régionaux (sur 31) massés autour de leur président, répétant à la presse qu'il "ne démissionnerait pas". "Regrets" du PS, impuissant face aux rodomontades du Marseillais.
Réfugié dans son antre, M. Guérini fanfaronne : "J'attends toujours l'appel promis par Mme Aubry au bureau national." Cet été, avant d'être convoqué par la justice, il aimait laisser croire, quand "Martine" lui téléphonait, que la première secrétaire du PS était au bout du fil. Aujourd'hui, il tient à dissiper le doute : c'est l'autre "Martine", sa femme.
“Quarante-deux journalistes étaient ici, hier, dans mon bureau, raconte le sénateur des Bouches-du-Rhône de son accent chantant. Je leur ai dit, il y a le G20, la Grèce, il se passe quand même autre chose en France et dans le monde, non ?” Devant la forêt de micros qui se tendaient vers lui, il a lu, de cette voix posée qui est la sienne depuis qu’il a suivi des séances de media-training, un texte soigneusement préparé. “Même Eric Woerth, on ne l’a pas traité comme moi, confie-t-il. Il est parti lors d’un remaniement. Je m’interroge sur un parti qui veut me voir abandonner mes fonctions sans m’entendre. Ce n’est pas le PS qui m’a nommé président. Ce sont les électeurs puis les 40 conseillers généraux qui m’ont élu le 31 mars à la présidence du département.”
Hors de question d'installer une “jurisprudence Guérini”, insiste l’élu marseillais : il ne démissionnera que si tous les élus socialistes mis en examen, “même en Corrèze”, le précèdent. Assis entre un buste de Jaurès et un santon géant de Gaston Defferre, son “maître”, il prévient : “Je suis socialiste depuis l’âge de 16 ans. Je me battrai et mourrai socialiste.”
“C’est Kadhafi qui, il y a quelques semaines encore, claironnait haut et fort qu’il allait gagner la bataille, observe, désolé, l’avocat Michel Pezet – l’un des rares élus du département, avec Marie-Arlette Carlotti, à réclamer ouvertement sa démission. Il va falloir appeler l’ONU ! Ou qu’on nous donne un BHL !” Jean-Noël Guérini se contente de lever une paupière : “Je laisse les apprentis gourous s’agiter autour de leurs guillotines. Je n’oublie pas qu’elles ne sont que de papier. Kadhafi, je ne l’aimais pas. Mais je maintiens qu’il ne fallait pas le tuer comme ça. Il fallait le juger, peut-être le condamner à mort, mais le juger. Je n’aime pas les exécutions.”
Derrière lui, sur une étagère qui hésite entre grotte de Lourdes et autel animiste, il a posé une Bible, une cigale porte-bonheur, un petit Bouddha et un portrait de lui en compagnie d’Elie Wiesel. “Les socialistes, je ne leur en veux pas, jure-t-il, chapelet enroulé autour du poignet. Si on en veut à tout le monde, quel est le sens de la vie ?”
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“J'ai mis à profit cette période pour réfléchir”
Au sortir de sa mise en examen, le 8 septembre, Jean-Noël Guérini avait délégué ses fonctions à la présidence du département. “J’ai mis à profit cette période pour réfléchir, sur l’existence, sur l’humain. J’ai marché seul. J’ai écrit, sur un carnet. Je me suis acheté un barbecue à gaz, j’ai cuisiné pour les amis – des crevettes au pilpil, des pavés de viande. L’odeur du grillé avec l’ail et la tomate (c’est très bon pour la santé, l’ail), c’était que du bonheur. Je reprends mes fonctions apaisé, différent.”
Il assure avoir reçu des lettres de soutien de “tout le petit peuple de Marseille”, de prieurs dominicains, de l’évêque et du pasteur du coin, et même “d’un patron de journal, à Paris, mais, par égard pour lui, je ne donnerai pas son nom avant trois ans, en 2014″ - la date qu’il s’est fixée, lui, pour passer la main.
En attendant ce jour maudit, il travaille. Samedi après-midi, le président du département passera “signer des papiers” à son bureau. Quelques étages plus bas, un conseiller général opposant se moque sous cape : “Je ne voudrais pas lui donner des idées en ressuscitant ce souvenir, mais je me souviens qu’Alain Carignon, dans sa cellule de prison, continuait à signer les parapheurs du conseil général de l’Isère…”
Dimanche matin, il sera “encore là, jusqu’au déjeuner” – comme si en ces temps troublés il préférait ne jamais laisser son fauteuil inoccupé trop longtemps.
“Il connaît la chanson, Jean-Noël, décrypte le conseiller général Didier Réault (UMP). Quand, en 1998, son prédécesseur à la tête du département, le socialiste François Bernardini, avait été obligé de démissionner, il lui avait dit : “Pars le temps qu’il faudra, je te garde la maison”", ra ppelle l’élu de l’opposition. “Bernardini la regarde toujours, sa maison, mais de la mairie d’Istres, tout là-bas, ajoute-il en indiquant l’ouest de la ville. Et Guérini, lui, est toujours là…”
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