Article paru dans La Provence le 28 nov. 2011, par Fred Guilledoux et Denis Trossero
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Six personnes auraient participé à une "escroquerie en bande organisée" commise lors de l’exécution de marchés publics obtenus à partir de 2005 auprès de la communauté urbaine de Marseille et de l’Agglo d’Aubagne.
L’affaire Guérini est un gigantesque puzzle, avec 44 mises en examen dans au moins cinq instructions judiciaires. L’une d’entre elles a été bouclée la semaine dernière par le juge Charles Duchaine, qui a décidé de renvoyer six personnes devant le tribunal correctionnel. Il s’agit des trois responsables de Queyras Environnement, une société de traitement de déchets aubagnaise proche d’Alexandre Guérini , et de trois agents de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole. Ils auraient été les acteurs d’une "escroquerie en bande organisée" mise en oeuvre lors de l’exécution de marchés publics obtenus dès 2005 auprès de MPM et de l’Agglo d’Aubagne. Dans l’ordonnance de renvoi qu’il vient de signer, le magistrat marseillais parle de "fraude massive", appuyée sur des faits de "corruption" commis sur les déchetteries de La Ciotat, Cassis et Roquefort-la-Bédoule. La date du procès n’est pas encore fixée.
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Les lettres anonymes du printemps 2009
Le "volet Queyras" a démarré en mai 2009, avec l’envoi de deux lettres à la police. Tapées à la machine et signées par un "collectif anonyme", elles expliquaient que des déchets privés étaient enfouis sur la décharge du Mentaure à La Ciotat, ce qui est interdit. Le ou les auteurs ajoutai(en)t que "les chauffeurs (des camions) sont pratiquement obligés de participer à ces pratiques illégales par peur de perdre leur emploi".
Des faux bons pour des déchets privés
Après une enquête préliminaire réalisée par la police, une instruction a été ouverte en novembre 2009 et confiée au juge Duchaine, qui enquêtait déjà autour des sociétés d’Alexandre Guérini. Les gendarmes ont alors pris le relais et procédé à des perquisitions et des auditions. Elles ont démontré "l’existence d’une fraude par l’établissement de faux documents", ce qui a été reconnu par la plupart des chauffeurs interrogés. En fait, les responsables de la société Queyras prenaient en charge les déchets de sociétés privées. Profitant de la faiblesse des contrôles, ils les expédiaient ensuite au Mentaure, où le coût d’enfouissement est moins élevé que dans le reste du département. Afin de ne pas alerter l’Agglo d’Aubagne, qui a confié l’exploitation de la décharge à la SMAE d’Alexandre Guérini , des faux bons étaient réalisés par des agents des déchetteries de MPM. Payés 10 euros aux fonctionnaires, ces faux bons étaient ensuite facturés à la communauté urbaine, ce qui permettait à Queyras de toucher sur tous les tableaux. Pour l’heure, le préjudice n’a pas été chiffré mais il semble que l’on soit loin des 2 millions d’euros évoqués en cours d’enquête.
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Les expertises de la défense
Avocate de Queyras et de son responsable, Eric Pascal, Sophie Bottai a fait réaliser deux expertises afin de contrer l’enquête. Elles pointent notamment que l’arrêt de la fraude, après des fuites sur l’instruction dans la presse, n’a pas entraîné de "baisse du chiffre d’affaires" de Queyras, ce qui remettrait en cause la réalité de l’escroquerie. Un argument qui n’a pas été retenu par le juge Duchaine mais que l’avocate compte bien développer lors du procès. Il est à noter que l'instruction a abouti à un non-lieu sur une des incriminations qui étaient reprochées à Eric Pascal, "l'abus de biens sociaux".
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L'étrange absence d'Alexandre Guérini
Bizarrement, on ne compte aucun représentant de la SMAE d’Alexandre Guérini parmi les six personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel. L’instruction a pourtant montré que l’escroquerie a fonctionné grâce à des complicités sur la décharge du Mentaure, des témoignages indiquant qu’un des responsables de cette société avait donné des instructions à son personnel afin d’aider à déjouer les rares contrôles. L’ordonnance de renvoi précise d’ailleurs que "cette fraude s’inscrit dans les relations complexes entre Queyras et la SMAE, dont les pratiques font l’objet d’une instruction judiciaire toujours en cours". Cette absence s’explique toutefois par la méthode de travail du juge Duchaine, qui a segmenté l’enquête : c’est dans un autre dossier qu’Alexandre Guérini et sa société ont été mis en examen pour "détournement de biens publics", à savoir la décharge du Mentaure. Des faits qui ont également entraîné la mise en examen de plusieurs responsables de l’Agglo d’Aubagne, dont son président Alain Belviso (PCF) qui a depuis démissionné. Tout indique que le "volet Queyras" a en fait utilisé comme leurre par les enquêteurs, tant à l'égard de la presse que des personnes impliquées dans le dispositif opaque mis en place autour des sociétés d'Alexandre Guérini : fin 2009, personne n'imaginait ainsi que deux autres instructions étaient ouvertes sur du "blanchiment d'argent".
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Il y a un an, coup de filet à l'aube
Cette décision survient tout juste un an après le coup de filet du 29 novembre 2010, qui a véritablement montré l'ampleur de l'affaire Guérini. Ce matin-là, Alexandre Guérini est placé en garde à vue par les gendarmes. C’est également le cas de sa compagne, de son bras droit et de plusieurs fonctionnaires de l’Agglo d’Aubagne. Dans le même temps, plusieurs cadres du Conseil général des Bouches-du-Rhône, de Treize Habitat et de MPM sont entendus comme témoins. Après 48 heures de garde à vue, Alexandre Guérini est mis en examen et écroué à Luynes. Depuis, un incroyable feuilleton judiciaire aux multiples répercussions politiques secoue les Bouches-du-Rhône. Dont un des temps forts aura été voici trois mois la mise en examen de Jean-Noël Guérini, le président PS du Conseil général.
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