Article paru dans La Provence le 8 sept. 2011, par Fred Guilledoux et Denis Trossero
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Après son frère Alexandre Guérini, des fonctionnaires du Conseil général des Bouches-du-Rhône, de la Communauté urbaine de Marseille et de l'Agglo d'Aubagne, ainsi que deux truands dont un est incarcéré depuis bientôt un an, Jean-Noël Guérini est depuis cet après-midi 18 h 45 le 12e mis en examen dans "l'affaire des marchés truqués". Le juge Duchaine, en charge de l'instruction ouverte "contre X" le 16 avril 2009, a mis l'élu marseillais en examen pour "prise illégale d'intérêt", "trafic d'influence", "association de malfaiteurs" et "complicité d'obstacle à la manifestation de la vérité". Des chefs d'accusation qui peuvent être passibles d'une peine de 10 ans de prison.
La justice soupçonne Jean-Noël Guérini d'avoir joué de son influence et d'avoir détourné les moyens du Conseil général, afin d'arranger les affaires de son frère, responsable de plusieurs sociétés de traitement des déchets. Mis en examen le 1er décembre 2010 notamment pour "blanchiment d'argent", Alexandre Guérini a été incarcéré durant 168 jours. Il a été libéré après le paiement de 300 000 euros de caution.
Après l'annonce de sa mise en examen, Jean-Noël Guérini a déclaré qu'il se mettait en congé du PS, "pour ne pas gêner mes camarades". "Je reste fidèle à mes idéaux. En ce qui concerne le conseil général, je délègue une partie de mes prérogatives à mon premier vice-président (Daniel Conte, maire de Mallemort NDLR). Je ne démissionne pas de la présidence, je reste le garant de la politique suivie." Son avocat, Patrick Maisonneuve a quant à lui déclaré qu'il contesterait la mise en examen de Jean-Noël Guérini dès demain devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. La réaction du PS n'a elle non plus pas tardé : Harlem Désir, premier secrétaire du parti par intérim, a dit dans une déclaration à la presse que "cette mise en examen doit marquer la fin du système Guérini".
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Les pistes du juge Duchaine contre le président du CG 13
Décharge de La Ciotat, un coup de pouce à 17 millions : en juillet 2004, la SMAE d'Alexandre Guérini remporte un marché de 17 millions d'euros attribué par l'Agglo d'Aubagne, afin d'exploiter la décharge du Mentaure à LaCiotat. Problème : les propriétaires d'un terrain sur lequel doit être agrandie la décharge traînent les pieds pour le vendre. Qui plus est, la mairie de La Ciotat tente également de récupérer ce terrain, afin d'obtenir la fermeture du site qui provoque d'importantes nuisances. Surprise, le 22 novembre 2004, le CG 13 fait jouer son droit de préemption, en utilisant une procédure réservée exclusivement à la défense de l'environnement. Une mesure mise en oeuvre contre l'avis des techniciens du Département, qui la jugeaient "injustifiée" et coûteuse en raison d'une dépollution estimée à près d'un million d'euros. Interrogé par le juge Duchaine, Alexandre Guérini a toujours assuré ne pas connaître les raisons de cette intervention.
Du côté du Département, Jean-Noël Guérini et son entourage ont depuis avancé à plusieurs reprises avoir agi à la demande de la préfecture. Une défense qui a du mal à tenir. Primo, s'il existe bien une demande de la préfecture à travers une déclaration d'utilité publique du 3 mars 2006, elle portait sur la revente du terrain à l'Agglo d'Aubagne, ce qui permettra à terme à Alexandre Guérini d'étendre enfin la décharge. Secundo, de nombreux documents et plusieurs témoignages montrent que la préemption du CG n'avait qu'un but : contrer dans l'urgence les démarches anti-décharge de la mairie de La Ciotat. Placée en garde à vue, la "conseillère spéciale" de Jean-Noël Guérini a été formelle sur le rôle de son patron : "Il était favorable à la préemption de ces parcelles pour geler le dossier". Un gel qui ne devait avoir qu'un temps dans l'esprit de ses concepteurs, comme en témoigne une autre délibération également votée le 22 novembre 2004. Quelques instants après avoir utilisé une procédure censée protéger le terrain durant 10 ans, le CG accordait 2,5 millions d'euros de subventions afin de réaliser l'extension de la décharge ...
Décharge de La Fare, un avocat commis d'office : en 2009, l'Agglo de Salon réclame 485000 euros à Alexandre Guérini, qui exploite pour elle une décharge. L'entrepreneur refuse de payer cette somme pourtant prévue par contrat et saisit la justice. Afin de biaiser la procédure, il se démène pour que l'Agglo soit représentée par un avocat proche de lui. Le 10 septembre, il adresse un message à son frère, lui demandant de faire pression sur un élu. Un peu plus tard dans la journée, Jean-Noël Guérini donne à "Alex" l'information tant attendue : "Bon, ben ça y est, je l'ai vu. Il m'a dit que c'était réglé, voilà ce qu'il m'a dit". Des témoignages montrent que, soumise à ces interventions, l'Agglo a bien confié le dossier à l'avocat recommandé tout en faisant appel dans le même temps à un autre défenseur pour court-circuiter dès que possible "l'ami" de "Monsieur Frère".
Des ordres en corse de Jean-Noël : depuis plusieurs mois, on sait que des écoutes téléphoniques prouvent que Jean-Noël Guérini a prévenu Alexandre dès le 27 avril 2009 de l'ouverture d'une enquête. Ce jour-là, craignant d'être espionnés, les deux frères parlent pour partie en corse. La traduction de ces conversations a été versée cet été au dossier et apporte des éléments nouveaux. On apprend ainsi qu'alerté par un mystérieux informateur qui participe à un voyage officiel de Nicolas Sarkozy à Madrid, le président PS du CG 13 sait que les investigations ont été déclenchées par des "lettres anonymes" et portent sur des "marchés" publics.
Très inquiet, il conseille aussitôt à Alexandre la plus grande prudence : "Fé atenzione au buro qui le dizianu la tiza mai". Traduction : "Fais attention au bureau que . euh , on ne sait jamais". Son frère ne comprenant pas le sens du message, il se fait alors plus directif. "Dibarassa a duto !" : "Débarrasse tout !" Quelques instants plus tard, Alexandre Guérini ordonnera à son bras droit de faire le ménage dans les locaux de sa société. Encore plus incroyable, Jean-Noël Guérini indique que celui qui l'a prévenu en aurait discuté avec "la ministre de la Justice", à l'époque Rachida Dati (UMP). Il explique qu'il en saura plus le lendemain, devant rencontrer son "ami" à Paris : "Il arrive de l'aéroport et de l'aéroport, il vient me voir".
Dernière information échangée en corse, Jean-Noël Guérini assure que ce sont des enquêteurs marseillais qui conduiront les investigations, ce qui semble rassurer les deux frères. Le contact de l'élu socialiste se serait même employé à éviter "que l'opération se fasse de Paris". Faut-il en conclure qu'ils imaginaient bénéficier de protections locales, sans doute au sein de la police ? Si tel était le cas, cette précaution n'aura servi à rien : l'enquête avait été confiée par le juge Duchaine aux gendarmes. Reste à savoir qui était la "taupe" des Guérini : plusieurs indices conduisent vers Bernard Squarcini, le patron du contre-espionnage. Lequel a juré du contraire à plusieurs reprises.
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