Article paru dans Médiapart le 27 mai 2011, par P-J. Bouniol et L. Fessard
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Dans le cadre de l'information judiciaire sur les marchés publics dans les Bouches-du-Rhône, les gendarmes de la section de recherche ont perquisitionné, mercredi 25 mai, dans les locaux de la mairie de Berre-l'Etang. Ce fief socialiste de 14.000 habitants (et quelque 400 cartes PS, d'après Gérard Frisoni, secrétaire de la section) a pour maire Serge Andréoni, sénateur PS proche du président du Conseil général, Jean-Noël Guérini.
Arrivés aux alentours de 9 heures, les gendarmes ont, selon Raymond Bartolini, adjoint au maire qui était présent, "demandé les documents relatifs aux marchés 2009, 2010 et 2011 passés avec Prodotec".
Prodotec est une société marseillaise de reprographie soupçonnée par le juge Duchaine d'avoir remporté frauduleusement des marchés publics grâce à l'intervention d'Alexandre Guérini.
Toujours selon cet élu, les gendarmes sont repartis les mains vides, car le dernier marché public passé par la Ville avec cette société spécialisée dans la commercialisation et l'entretien des photocopieurs remontait à 2008, pour un montant inférieur à 10.000 euros. "Je suis tout à fait tranquille, a de son côté réagi Gérard Frisoni, premier adjoint au maire. Les gendarmes peuvent venir quand ils veulent, on donnera tout ce qu'ils demandent."
Le 22 janvier 2010, le juge Duchaine, qui enquête depuis avril 2009 sur l'affaire Alexandre Guérini, avait demandé au procureur de la République d'être saisi de faits nouveaux "concernant la vente par la SA Prodotec de matériels de reprographie dans le cadre de l'obtention d'un marché public passé par la mairie de Berre ou l'Agglopole Provence (communauté d'agglomération qui coiffe la ville - ndlr)". Ces faits sont susceptibles, selon lui, d'être qualifiés de trafic d'influence, favoritisme, et corruption active et passive.
Les écoutes effectuées en 2009 ont effet permis aux gendarmes de surprendre de nombreuses conversations (plus de 53 contacts entre mai et début juillet 2009) entre Alexandre Guérini, frère du président du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini, et Sylvain Benarouche, le PDG de Prodotec, surnommé "la Photocopieuse" par l'intéressé. Un fonctionnaire du conseil général était également de la partie.
Des conversations elliptiques ("Ne parle pas au téléphone", rappelle à plusieurs reprises Alexandre Guérini à ses interlocuteurs) et des SMS plus ou moins explicites : "Pour le photocopieur les chiffres sont bons", le 11 juin 2009, ou encore "Je gère au mieux mais dans les escadrilles de cons, la photocopieuse est pilote de la cupidité", le 29 juin 2009. Les gendarmes suspectent Alexandre Guérini et ce fonctionnaire d'avoir été rétribués par Sylvain Benarouche en raison de leurs interventions en sa faveur.
Le 11 juin 2009, Alexandre Guérini prévient ainsi le chef d'entreprise qu'un "ami" ("que je t'avais présenté à l'époque là et vous étiez deux sur l'affaire là...", précise-t-il), lui "a dit qu'il allait te faire gagner à toi, il m'a dit qu'il allait te faire gagner". "Moi je serais toi, je lui enverrais un Sms tu vois (...) et il te parlera de tes photocopieurs", conseille-t-il à Sylvain Benarouche.
Le 23 juillet 2009, Alexandre Guérini informe cette fois le fonctionnaire du conseil général que le PDG de Prodotec vient "de lui en donner une partie et l'autre partie sera pour mercredi prochain".
Le 19 juin 2009, une rencontre, photographiée par les gendarmes, a même lieu sur le parking d'un hôtel Sofitel, à l'aéroport de Marignane, entre Sylvain Benarouche, Alexandre Guérini et une personne identifiée comme un élu de l'Agglopole Provence. Contacté par Mediapart, ce dernier ne se souvient plus de cet étrange rendez-vous sur un parking, mais affirme qu'à l'époque Sylvain Benarouche voulait acquérir un immeuble à Berre pour installer un supermarché Lidl et qu'il l'a peut-être rencontré "par hasard" à ce sujet. "Je n'ai pas de commentaires à faire", a déclaré quant à lui Sylvain Benarouche, joint jeudi soir au téléphone.
Si Berre-l'Etang n'a pas passé de marché avec Prodotec en 2009, en revanche l'entreprise était candidate à sa propre succession sur un marché de location et de maintenance des photocopieurs lancé le 7 mai 2009 par l'Agglopole Provence. Et elle l'a remporté pour 131.733 euros en décembre 2009 dans des conditions curieuses. Une première procédure qui classait Prodotec troisième sur quatre candidats (Konica Minolta, Ricoh France et Aitec Bureautique) a été annulée, à la suite d'une observation de l'inspecteur de la DGCCRF selon qui aucun des candidats ne répondait à l'une des exigences techniques (un détail sur la vitesse de copie couleur).
Lors de la deuxième procédure lancée le 15 octobre 2009, trois entreprises déposent des offres mais, surprise, à part Prodotec, aucune des sociétés présentes au premier tour ne candidate, même Konica Minolta qui avait pourtant fait la meilleure offre. Prodotec remporte le marché en proposant un prix inférieur de 30.000 euros à sa précédente offre (et très proche de celui qu'avait fait Konica Minolta).
"Nous avons soupçonné que quelque chose s'était passé entre la première et la deuxième procédure, mais nous ne pouvons rien prouver", commente un fonctionnaire de l'Agglopole Provence, qui préfère rester anonyme.
Prodotec, société concessionnaire de Sharp au chiffre d'affaires de plus de 9 millions d'euros en 2008, a eu, ces dernières années, de nombreux marchés publics avec des collectivités de gauche du département (entre autres le conseil général, l'Agglopole Provence, la communauté urbaine de Marseille, le syndicat d'agglomération nouvelle de Ouest-Provence, Salon-de-Provence, Aubagne, Miramas, Rousset, Istres, etc.). L'entreprise a également équipé la fédération PS des Bouches-du-Rhône.
Après l'ouverture d'une instruction pénale en Suisse en décembre 2010, les enquêteurs avaient découvert, dans une filiale suisse de l'Israeli Discount Bank, un compte au nom de Sylvain Benarouche, sur lequel a été séquestré 1,7 million d'euros. Ils ont également relevé de nombreuses transactions avec quatre autres comptes ouverts dans la même banque par Alexandre Guérini.
Le 20 juillet 2009 dans une conversation avec Alexandre Guérini interceptée par les gendarmes, sa compagne Jeannie Peretti avait lancé à propos d'un dîner chez Sylvain Benarouche auquel ils n'étaient pas invités : "Je voulais te dire que Jean-Noël non plus n'était pas invité." Elle poursuit citant l'amie qui lui a donné cette information : "Comme ils n'ont pas invité Jeannie et Alexandre, donc ils en ont déduit qu'il choisissait un autre chemin pour (rires) avoir peut-être des marchés autres qu'au CG."
Questionné le 17 février 2011 par le juge sur cette phrase intrigante, Alexandre Guérini a répondu : "Ni moi ni Jeannie Peretti n'avons aucun pouvoir pour attribuer ou pour favoriser l'attribution d'un marché auprès du conseil général." Et ailleurs ?
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