Article paru dans Le JDD le 30 janvier 2011
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Les enquêteurs soupçonnent Alexandre Guérini d'avoir joué un rôle occulte dans la gestion de l'office HLM 13 Habitat, présidé par son frère Jean-Noël.
Jusqu’où ira l’affaire des Bouches-du-Rhône ? L’enquête se rapproche de Jean-Noël Guérini, le patron du PS marseillais et président du conseil général, dont le frère Alexandre, présumé innocent, a été mis en examen pour "blanchiment, abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, corruption active" et incarcéré début décembre. Un mois plus tard, lors de ses vœux, Jean-Noël Guérini, "peiné" de l’incarcération de son cadet, a souhaité que "la justice fasse son travail dans l’absolue sérénité"... L'homme fort du PS local a aussi réaffirmé que "le conseil général, qui a fait, à maintes reprises, l’objet de contrôles, ne saurait être suspecté d’une quelconque manière...".
Pourtant, selon nos sources, les enquêteurs du juge Charles Duchaine disposent d’éléments qui tendent à montrer le contraire. En ligne de mire, 13 Habitat, l’office HLM du département des Bouches-du-Rhône, présidé par Jean-François Noyes, l’ancien directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini, conseiller général depuis mars 2008. Entendu discrètement comme témoin par les enquêteurs, ce fidèle de Jean-Noël Guérini a d’abord expliqué aux gendarmes de la section de recherches qu’Alexandre, "un ami", n’avait "aucune fonction" en lien avec 13 Habitat.
"Il travaille dans l’assainissement, qui est complètement en dehors de 13 Habitat", commence-t-il sur procès-verbal.
"Etes-vous régulièrement en relation avec lui ?, demandent les gendarmes.
– Ces derniers mois nous nous sommes très peu vus, réagit le témoin.
– Est-ce que M. Guérini est impliqué dans 13 Habitat ?, poursuivent les enquêteurs.
– Non. Absolument pas. Il connaît du monde au sein de cette administration, il connaît personnellement Mme C. et M. E., et d’autres, mais de là à dire qu’il est dans 13 Habitat ou qu’il interfère dans la gestion, je réponds catégoriquement non, en tout cas pas à ma connaissance, affirme le conseiller général."
Manifestement, les gendarmes pensent exactement le contraire. "Nous allons vous donner lecture d’enregistrements téléphoniques réalisés au cours de l’enquête", annoncent-ils au témoin. Ces enregistrements semblent attester qu'Alexandre Guérini "place" des "connaissances" dans des logements HLM. A lire ces écoutes, dont le JDD a pris connaissance, quand le frère Guérini appelle son contact, Mme C., la directrice de cabinet de Jean-François Noyes, il semble chez lui. Exemple ce 3 juin 2009, à 15h20 :
"Mme C. : Le T4, oui, j’ai récupéré le T4 de, comment il s’appelle, heu, du commandant de police.
Alexandre : Oui.
Mme C. : De la Feuilleraie… il y en aura deux en fait.
Alexandre : Comme ça, je vous donne le nom de la personne.
Mme C. : Pour le T4, pour l’instant, il n’y a personne, hein, je le garde, hein.
Alexandre : Eh bé, je vais vous donner le nom.
Mme C. : Eh ben, vous me le donnez quand vous voulez…
Alexandre : Eh bien, je vous le donne maintenant.
Mme C. : Eh bien, je le note, alors, allez-y, comme ça je regarde le dossier en même temps
Alexandre : Alors P. Stéphanie.
Mme C. : D’accord, c’est un couple avec au moins deux enfants, hein?
Alexandre : Un enfant
[…]
Mme C. : Bon, je regarde, j’en parle avec Mme M. et s’il n’y a pas de souci je ne vous rappelle pas."
Dans une vingtaine d’autres cas, les gendarmes ont enregistré des conversations de "placement" de ce genre. Or, 13 Habitat dispose d’environ 3.000 logements sociaux et a 32.000 dossiers de demandes en souffrance. C’est dire si les places de logement sont chères. "On fait comme on a dit", résume lors d’une conversation de placement Alexandre Guérini. Une autre fois, il demande "de régler en urgence un problème d’appartement […] dans le 5e." "Voilà, très vite, il faut me le trouver", dit-il à Mme C. "OK, OK", répond-elle. Un secteur clé pour les élections marseillaises, ce 5e arrondissement : c’est là que Jean-Noël Guérini avait affronté Renaud Muselier.
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"Je suis étonné par l’influence qu’il parait avoir eue"
Une nouvelle fois encore, "M. Alexandre" appelle pour trouver un logement au fils d’un maire de secteur de Marseille, également vice-président du conseil général. Il intervient aussi pour trouver un logement HLM à un responsable de FO, le syndicat majoritaire au sein du personnel territorial de la ville. A plusieurs reprises, dans les écoutes, il est aussi question du logement de Carole C., l’ex-femme du braqueur Bernard Barresi, sans que les écoutes permettent d’établir un quelconque lien entre le "parrain" présumé, arrêté en 2010 après vingt ans de cavale, et le frère Guérini. A d'autres reprises, il apparaît dans les enregistrements que "M. Alexandre" s'occupe d’augmentations de salaire de certains personnels de 13 Habitat, et même d’emploi. Il donne également des conseils quand il s'agit de préparer une réunion avec son frère Jean-Noël...
Après lecture de la plupart de ces écoutes, alors qu'il avait commencé par affirmer "catégoriquement" aux enquêteurs qu'Alexandre Guérini "n'interfère pas dans la gestion de l'office", Jean-François Noyes semble embarrassé: "Je suis étonné de l’influence que paraît avoir eue Alexandre Guérini", reconnaît-il... "De l'ensemble des conversations téléphoniques dont vous venez d'avoir connaissance, résument les gendarmes, il ressort que M. Guérini Alexandre occupe une place prépondérante dans les décisions prises au sein de 13 Habitat, tant sur l'attribution de logements que sur la gestion du personnel et sa rémunération. Etes-vous d'accord avec cette analyse ?", concluent les enquêteurs. "Il est vrai que M. Alexandre Guérini dispose d'une certaine influence dans 13 Habitat", admet Jean-François Noyes sur procès-verbal. Cette influence s'étend-elle au conseil général présidé par son frère ? Seule l'enquête du juge Duchaine permettra d'en avoir le cœur net.
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