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La justice fourre son nez dans le nauséabond en épluchant la gestion locale du ramassage des ordures ménagères. Un dossier polluant à intervalles réguliers le microcosme politique phocéen relancé par un courrier anonyme.
Les magistrats marseillais osent le tri sélectif. Visiblement lassé de l’incessant remue-ménage opposant élus et acteurs de la filière, le parquet de Marseille a ouvert, en avril 2009, une information judiciaire « contre X ». L’instruction a été confiée à Charles Duchaine, l’un des magistrats appartenant à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS). Histoire de trier le bon grain de l’ivraie en matière d’attribution des marchés de collecte des déchets dans le département, les investigations s’orientent désormais vers les institutions locales et d’augustes personnalités. Dernière visite à l’improviste en date : les gendarmes ont investi le conseil général des Bouches-du-Rhône, à l’hôtel du département, ainsi que la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), sise aux docks de la Joliette. Le responsable du service informatique de MPM a été longuement entendu, tandis que des ordinateurs y ont été dûment fouillés.
Des perquisitions avaient déjà été menées, le 18 novembre, avenue du Prado, au domicile d’Alexandre Guérini, le frère de Jean-Noël, l’actuel président (PS) du conseil général des Bouches-du-Rhône. Deux fouilles systématiques avaient été simultanément conduites au siège de la SMA Vautubière et de la SMA Environnement, des sociétés spécialisées dans le traitement et la collecte des déchets non dangereux appartenant au même Alexandre Guérini, qui demande désormais à être entendu dans les plus brefs délais dans le cabinet du juge Duchaine. Des documents comptables, ainsi qu’une Mercedes, y ont été saisis. D’après plusieurs sources concordantes, ces visites surprises font suite à une dénonciation anonyme adressée, courant octobre, par courrier circonstancié au palais de justice. Elles portent sur des pratiques supposées dévoyées dans l’attribution des marchés du ramassage des ordures dont Alexandre Guérini est l’un des acteurs, puisqu’il exploite deux décharges, l’une à La-Fare-les-Oliviers et l’autre à La Ciotat.
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En toile de fond de ces opérations, la polémique ayant éclaté à la suite de la décision, début novembre, d’Eugène Caselli, le président PS de MPM d’annuler la procédure d’appels d’offres qui avait recalé la société Bronzo, une filiale de Veolia, au profit d’ISS Environnement, un groupe danois. Un procédé, selon lui, seul capable de débloquer les centres de déchets, occupés six jours durant, début novembre, par les salariés de Bronzo dont le contrat doit théoriquement s’achever courant décembre. Il n’empêche. A écouter plusieurs sources proches de l’enquête, le juge Duchaine va devoir ausculter le marché des poubelles et leurs petits arrangements, mêlant intérêts privés et publics, pas toujours identifiables. Comme le prédit une mauvaise langue au fait des micmacs de la filière, « ceux qui avaient pris l’habitude de ramasser, à tous les sens du terme, risquent bientôt de se ramasser tout court ». Et l’initié de décrire une singulière distribution des marchés et des appels d’offres afférents, « où tous les acteurs ont toujours pris soin de se répartir les lots en bonne intelligence » et notamment les 76 millions d’euros distribués en la matière au secteur privé. En clair : chacune des entreprises soumissionnaires étant bénéficiaires de l’un de ces fameux marchés réservés dans au moins l’un des cinq arrondissements de la ville (sur seize). Une manne représentant 35 % du volume total des détritus marseillais. Cette gestion bâtarde constitue l’héritage d’un singulier système, dit « mixte », mis en place par Gaston Deferre, l’inamovible maire de Marseille, décédé en 1986, trente-trois ans de mandat au compteur. Histoire de sortir du bourbier, Eugène Caselli, le président PS de la communauté urbaine, a proposé le passage en régie publique de la totalité de la collecte des déchets, conséquence du dernier conflit des éboueurs, lui-même généré par la non-reconduction de Bronzo. Résultat : une assemblée de la communauté urbaine houleuse aux propos peu ragoûtants. En attendant les prochains appels d’offres.
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Véritable casse-tête que la collecte des déchets aujourd’hui scrutée de près par le parquet de Marseille. Actuellement, elle est effectuée par des sociétés privées dans cinq arrondissements de Marseille, par les agents de MPM dans les onze autres, le tout incluant un mécanisme de rotation et des appels d’offres réguliers pour redistribuer les cartes. Un système « mixte » érigé sous Gaston Deferre, l’indéboulonnable édile socialiste, ayant régné sur la ville jusqu’à son décès en 1986.
Soutenue par des élus socialistes, communistes et écologistes, Eugène Caselli a mis le feu aux poudres en suggérant de « mettre en régie publique l’ensemble des arrondissements », promettant d’intégrer tous les salariés privés actuels au sein de MPM. Une provocation pour l’opposition de droite l’accusant illico d’avoir cédé au chantage des grévistes, sommant Eugène Caselli de s’expliquer sur les soupçons d’arrangements mafieux engendrés, selon elle, par l’affaire. Renaud Muselier, le député UMP, allant jusqu’à offrir au patron de MPM un exemplaire de Gomorra, le livre de Roberto Saviano sur la Camorra, en affirmant que « Marseille n’est pas Naples » et que « les Marseillais sont des républicains ». Qualifiant ces propos de « très graves », Eugène Caselli avait ostensiblement jeté l’ouvrage tendu, renvoyant son contradicteur à la lecture d’un instructif rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) sur les appels d’offres passés sous l’ancienne mandature de MPM, présidée, à l’époque par la droite. Présent dans l’Hémicycle, Jean-Claude Gaudin, le maire UMP de Marseille, s’était contenté d’observer le grand déballage. Sans mot dire. Tandis que quelques jours plus tard, Eugène Caselli et Jean-Noël Guérini se sont livrés à une explication de gravure devant des témoins interloqués. Le premier vociférant au second : « Je n’irai pas en prison pour vous ! » Des propos depuis démentis par le seul président du Conseil général des Bouches-du-Rhône.
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